Il y a peu, j’éditais sur le podcast Au fil du yoga une bulle sur la fin de l’âge d’or du yoga. En effet, j’en avais marre de voir apparaître sur ma page facebook une pub du magazine Elle sur ce thème. Article bien entendu impossible à lire sauf pour les abonnés dont je ne fais pas partie.
Fin de l’âge d’or ? Pourquoi ? Parce que des studios « renommés » ferment leurs portes ? Comme d’habitude, cet ethnocentrisme parisien m’agace. Parce que des studios classes, apparaissant régulièrement dans la presse féminine et la presse dite spécialisée « yoga », ferment, le yoga suivrait une spirale descendante ? C’est un peu court.
Je vous invite à écouter cette bulle du podcast qui n’est pas bien longue (sur spotify Au fil du yoga).
Une chose est sûre : l’industrie du yoga change.
Les confinements ont à la fois démultiplié l’essor du yoga et en même temps brisé la façon de le pratiquer, en tous les cas tel que pratiqué en Occident.
Internet, les cours en zoom, à la maison dans un contexte assez perturbant ont permis à des milliers de personnes de mettre un pied sur un tapis. Jusque là, c’est pas mal.
Mais le fait de pouvoir prendre un cours en ligne a tué la pratique en personne.
Pour de multiples raisons, les nouveaux entrants sur le marché du yoga n’ont pas pour autant poussé la porte des studios. A cela plusieurs raisons.
Le fait de pratiquer à n’importe quelle heure, avec un prof se trouvant à l’autre bout de la planète a changé la donne. Les prix ont aussi beaucoup baissé. En effet, quand on pratique en personne, il faut un studio. Louer un studio cela coûte cher : généralement il faut au moins 3 personnes pour rentabiliser la location. Ici, pas de souci : l’intégralité de la somme va dans les poches du prof (je ne compte pas l’amortissement du matos ni les impôts derrière). Je schématise mais en gros c’est l’idée.
L’image aussi compte. Beaucoup ne souhaite pas faire du yoga en groupe : peur de montrer son corps, de mal faire en présence d’autres personnes.
Peut être sommes nous effectivement arrivés à un point de rupture.
J’avoue ne pas tout à fait comprendre. Mon prof est anglais, alors oui je suis heureuse de suivre mes cours en zoom. Comme je suis heureuse de l’attention qu’il nous porte à chacun en nous corrigeant et en étant disponible en début et fin de cours. Mais je n’ai qu’une envie c’est de re-pratiquer en vrai avec lui.
Suis-je la seule ?
Je pousse la réflexion un peu plus loin et je vais faire le parallèle avec ce qu’on appelle la psychologie du bonheur et le positivisme. A ce sujet vous pouvez écouter l’épisode du podcast sur la Dictature du Bien être :
L’idée c’est quoi ?
Nous sommes dans une société où partout on voit fleurir littérature, mantra, coaching sur le fait de reprendre sa vie en main, de faire ce que l’on veut, de se développer. Franchement c’est bien sauf que cela ne promeut qu’une chose : la personne. La personne au sens littéral. Il n’est pas question de communauté, de partage. Il est question de son propre bien être : pas de celui des autres. C’est à dire que la société s’efface devant l’individu. C’est ce qu’on appelle le néo libéralisme. Ici je critique beaucoup mais il y a des aspects positifs.
Ce néo libéralisme s’est traduit dans les entreprises par les salles de jeux, les séances de méditation, les cours de yoga, les chief happiness. Plus vous êtes bien dans votre tête, plus vous êtes performants. Cette corrélation a été exploitée en Occident par les salles même de yoga. Je vous invite à regarder le documentaire d’Arte « Le business du bonheur ».
En tant que prof, n’avez vous jamais présenté votre cours comme « une bulle de bien être » ? Moi oui et je me rends compte que bien qu’animée par de bonnes intentions, cette idée de créer une bulle de bien être signifie insidieusement que le reste de l’espace occupé dans la journée n’est pas « bon ». Pourquoi se sent-on obligé de dire des choses « bien », des petites phrases qui font du bien ?
C’est cette mode du bien être qui a mis dans les starting block, les cours de yoga.
J’ai déjà eu des élèves qui sont venus parce que leur médecin leur conseillait de faire du yoga.
Alors oui bien sûr le yoga est très bon pour le corps MAIS pour prévenir les mots de dos on peut faire de la gym ou des étirements. Le yoga n’est pas un sparadrap. De plus, l’explosion de Zoom , c’est aussi l’explosion des blessures et des postures faites n’importe comment car le prof ne peut pas « corriger ». Quand j’utilise le verbe « corriger », entendez bien que c’est la posture qui s’adapte au corps. Donc en tant que prof, si mon élève n’arrive pas à faire une torsion, je ne vais pas l’obliger à la faire, ni mettre mes mains sur cet élève pour tordre son tronc. Corriger c’est faire sentir les vides, faire remplir les espaces, adapter, utiliser des accessoires, faire sentir. Tout ça, c’est difficile via internet.
J’aimerais aussi dire que parfois le yoga c’est pas quelque chose de facile. Il y a des moments complexes : insatisfaction, doutes, blocages.
Prenons l’exemple du yoga nidra. Comme d’habitude, on mélange yoga nidra avec savasana et relaxation. Et comme de fois, je vois qu’un yoga nidra va vous faire du bien. Un nidra cela peut être vertigineux et très très désagréable. C’est pas une ballade le long d’un lac calme sous un ciel étoilé.
Il y a des expériences agréables et désagréables en yoga.
Bien évidemment, on ne dit pas ce qu’est le yoga : un chemin spirituel. Utilisez ce mot dans vos cours et vous verrez fuir une grande partie de vos élèves. C’est aussi pour cela que le yoga en tant que tel ne suit plus un essor commercial (un âge d’or, puisqu’il s’agit en définitive de cela).
Le développement personnel à toutes les sauces, mélange de sororité et de yoga, de cartes d’oracles et de yoga, de lithographie et de yoga, d’huiles essentielles et de yoga, de chamanisme et de yoga, est en train de mettre un terme à cet « âge d’or ». Une espèce d’auto-régulation en somme.
Je ne critique en rien chacune des disciplines citées supra. Mais ce n’est pas le yoga stricto sensu (je dis stricto sensu car vous pourriez m’opposer que c’est un chemin spirituel pour vous. NB : moi même j’ai un tambour, je chante, je masse, j’utilise des encens, j’aime faire des voyages sonores).
Ce sont toutes ces pratiques centrées sur le développement personnel qui sont en train de mettre fin à cet âge d’or économique du yoga. Le yoga, en tant que spiritualité, existera toujours.
Du coup, nous avons peut être une responsabilité, là, maintenant. Comment continuer à pratiquer le yoga, simple ? A mon sens, ce qui prime c’est l’honnêteté. Ne pas avoir peur d’expliquer ce qu’est le yoga. Là où je suis embêtée c’est que le yoga est de fait plus une pratique personnelle, individuelle, et très épurée qu’une pratique de groupe. Quand on lit les yoga sutra (et je vous invite à lire l’étude des yoga sutras sur ce blog), on constate que l’interaction avec l’autre disparait. L’union ne se fait pas avec un autre mais avec soi même et l’univers. Il n’y a ni compassion, ni bienveillance, ni amour inconditionnel, hormis comme instruments pour aller au delà des souffrances et vers le samadhi).
Revenez quelques paragraphes plus haut. Pourquoi avons nous besoin de dire des petites phrases inspirantes qui font du bien. Et si justement il était temps de faire silence ? De ne pas dire que c’est pour se faire du bien ? De laisser la personne suivre son propre cheminement ? En cela, le yoga se départit des oripeaux de la psychologie positive qu’on a bien voulu lui coller… même si cela ne résout pas la question de le yoga contribue t-il à l’essor de l’individualisme ? J’avoue qu’aujourd’hui je suis partagée.
Ou bien il est temps aussi de dire d’arrêter de se prendre la tête. Le yoga est aussi cette pratique qui remet en phase, qui ramène de la clarté. Mais le yoga sans tout ce que le new age lui a rajouté. Bref on en revient aux 4 voies du yoga : la bakhti (dévotion), le karma yoga (l’action désintéressée), le jnana yoga (yoga de la « sagesse », l’analyse du soi) et le raja yoga (science du contrôle du corps et de l’esprit). Et d’âge d’or, il n’est plus question !