Allez, Allez, Allez au-delà, Allez complètement au-delà, Éveil, bénédiction
Parti, parti, complètement parti, complètement et parfaitement disparu, réveillez-vous !, Qu’il en soit ainsi !
Il conclut le sutra du cœur प्रज्ञापारमिताहृदय / Prajñāpāramitā Hṛdaya. Il s’appelle sutra du cœur car il contient le cœur de l’enseignement de la prajñāpāramitā. La prajñāpāramitā ou perfection de la sagesse est un ensemble de textes du bouddhisme mahāyāna développant le thème de la perfection (paramita) de la sagesse transcendante, perception permettant de reconnaître la nature réelle de toutes choses et concepts comme vide (sunya), et d’atteindre l’éveil, la bouddhéité.
Le sutra du coeur
En voici le texte, édité sur le site Lotsawahouse.org, traduit par Vincent Thibault en 2022 (avec leur aimable autorisation) :
Hommage à la Noble Connaissance transcendante, Bhagavatī Prajñāpāramitā !
Voici ce que j’ai entendu : le Bienheureux demeurait au pic des Vautours de Rājgṛha, entouré d’une grande communauté de moines et d’une vaste assemblée de bodhisattvas.
Le Bienheureux entra alors dans l’état de recueillement appelé « Profonde apparence », portant sur les catégories de phénomènes. Au même moment, le bodhisattva, le grand être, le noble Avalokiteśvara, qui contemplait la pratique de la profonde connaissance transcendante, vit que les cinq agrégats étaient vides de toute essence. Alors, inspiré par le pouvoir du Bouddha, le vénérable Śāriputra s’adressa au bodhisattva mahāsattva, au noble Avalokiteśvara, et lui demanda : « Comment devrait s’entraîner un fils ou une fille de noble famille qui souhaite pratiquer la profonde prajñāpāramitā ? »
Voici ce que le noble et grand bodhisattva Avalokiteśvara répondit au vénérable Śāriputra.
« Ô Śāriputra, le fils ou la fille de noble famille qui souhaite pratiquer la profonde perfection de sagesse doit considérer les choses ainsi : il lui faut voir que les cinq agrégats sont vides, dénués de nature propre. Les formes sont vides ; la vacuité elle-même, ce sont les formes. La vacuité n’est autre que la forme ; la forme n’est autre que la vacuité. De la même façon, les sensations, les représentations, les formations et les consciences sont vacuité. Par conséquent, Śāriputra, tous les phénomènes sont vacuité ; ils sont dépourvus de caractéristiques propres ; ils ne naissent ni ne cessent ; ils ne sont ni souillés ni non souillés ; et ils ne connaissent ni décroissance ni croissance.
Donc, Śāriputra, dans la vacuité, il n’y a ni forme, ni sensation, ni représentation, ni formation, ni conscience. Il n’y a ni œil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni corps, ni esprit. Il n’y a ni forme visible, ni son, ni odeur, ni saveur, ni objet tangible, ni phénomène mental. Il n’y a pas d’élément visuel et ainsi de suite jusqu’à : il n’y a pas d’élément mental ni d’élément de la conscience mentale. Il n’y a ni ignorance, ni extinction de l’ignorance, et ainsi de suite jusqu’à : il n’y a ni vieillesse, ni mort, ni cessation de la vieillesse et de la mort. De même, il n’y a ni souffrance, ni origine de la souffrance, ni cessation, ni chemin, ni sagesse, ni fruit à atteindre ou à ne pas atteindre.
Ainsi, Śāriputra, puisque les bodhisattvas n’ont pas de fruit à atteindre, ils s’en remettent à la prajñāpāramitā et s’y établissent. L’esprit libre de tout obscurcissement, ils ne craignent rien. Ils transcendent totalement les méprises et accèdent au nirvāṇa ultime. Tous les bouddhas des trois temps parviennent à l’éveil complet, authentique et insurpassable au moyen de la prajñāpāramitā
Ainsi, le mantra de la perfection de la sagesse – le mantra de la grande connaissance, le mantra insurpassable, le mantra inégalé, le mantra qui apaise toute souffrance – ne ment pas et l’on doit en reconnaître la vérité. Ce mantra de la prajñāpāramitā, le voici proclamé :
Gate gate paragate parasamgate bodhi svaha !”
« Voilà comment, Śāriputra, les bodhisattvas mahāsattvas doivent s’entraîner à la profonde perfection de la sagesse. »
Alors le Bienheureux sortit de son recueillement et félicita le grand être, le bodhisattva, le noble Avalokiteśvara : « Excellent, excellent, fils de noble famille ; il en est bien ainsi, et c’est ainsi qu’il faut pratiquer la profonde perfection de la sagesse, ce qui réjouira les tathāgatas. »
Quand le Bienheureux eut prononcé ces mots, le vénérable Śāriputra, le noble bodhisattva mahāsattva Avalokiteśvara, toute l’assemblée, de même que le monde des dieux, des humains, des asuras et des gandharvas, se réjouirent et louèrent les paroles du Bienheureux.
Ainsi s’achève le sūtra du Mahāyāna intitulé La Mère sacrée, le Cœur de la perfection de la sagesse transcendante.”
Le Sutra du coeur chanté.
Le mantra Gaté Gaté chanté.
Le saviez-vous ?
La perfection de la sagesse est appelée Bhagavati, la Mère, parce que la perfection de la sagesse est comme une mère. En d’autres termes, tous les bouddhas naissent de la perfection de la sagesse. Sans la réalisation de la perfection de la sagesse, il n’est pas possible d’atteindre l’illumination. Donc si l’on souhaite devenir Bouddha (un être éveillé), il faut pratiquer Prajnaparamita
Shunyata ou vacuité n’est PAS le néant. Thich Nhat Hanh a dit que le vide signifie vide de soi – mais dans la plénitude de tout le reste … c’est à cause du vide que tout est possible.
La vacuité est la meilleure traduction de shunyata. Les mots vide ou vacuité sont des traductions incorrectes. même en psychologie il y a une différence entre se sentir vide et ne rien ressentir. Le vide peut être comblé.
Chaque être individuel est la somme d’un ensemble de phénomènes psychiques et phsyqiues tmporairement combinés qui forment les 5 skhandas.
Skandas ou agrégat : l’agrégat de la forme ou matière (rupa), l’agrégat de la sensation (vedana), l’agrégat de l’identification (samjna), l’agrégat des formations mentales (samskara), l’agrégat de la conscience (vijnana).
La vacuité
La vision du Mahayana est que nous avons tous en nous la nature de Bouddha, c’est à dire le potentiel non seulement de nous libérer de la souffrance, mais aussi d’aider les autres à se libérer de la souffrance et devenir eux mêmes des êtres éveillés. Le Mahayana considère que toute vie est infiniment précieuse et que nous devons faire tout ce que nous pouvons pour nous aider les uns les autres à nous libérer de la confusion et des conditions douloureuses, et à atteindre la sécurité et la prospérité.
Cette vision est complètement à l’opposé de l’égoïsme qui consiste à mépriser, exploiter ou maltraiter les autres. Elle est exempte de toute indifférence ou insensibilité, et cela n’est pas une cause de faiblesse – bien au contraire – c’est une source de force, de courage et de confiance inébranlables.
Le « néant » fait référence à la « présence de l’absence ». Il est vécu comme un état fermé, rétracté et douloureux, comme le contact avec une poche d’acide. C’est l’équivalent d’un abcès dans le corps. Ce n’est pas un espace vide. Il est plein de toxines et de matières mortes, mais il est piégé dans une bulle. Lorsque nous faisons l’expérience du vide, nous faisons l’expérience d’un endroit dans notre psyché où ce qui était, ou aurait dû être, dans cet espace s’est effondré ou a été détruit. Il est sans énergie positive, sans créativité, il attire à lui comme un acide qui ronge son environnement.
La « vacuité », en revanche, est la « présence de potentiel ». Cet état est vécu comme ouvert, créatif, plein de potentiel sous la forme d’une énergie abondante. Il est sans formes, mais n’est pas un espace de formes détruites ou pulvérisées (comme le Néant). Il nous invite à y entrer, n’est pas (quand nous le reconnaissons et le rencontrons pleinement) menaçant, n’est pas toxique ou dangereux. L’archétype de la prairie ouverte par une journée ensoleillée de printemps, allongé sur le dos, le regard fixé vers le ciel, est l’état de « vacuité » : nous ne sommes pas menacés par l’espace, et pouvons ressentir et puiser dans la vaste énergie et les possibilités. C’est un espace dans lequel le manque d’« objets » n’est pas ressenti comme horrible ; nous sommes attirés par cet espace, quand nous le reconnaissons, parce que c’est là que la vie surgit.
Pour le Dalaï Lama, shunyata, apporte “le but, la possibilité de la cessation de la souffrance, ce qui est une aide immense pour la compassion, car la compassion est un désir de se débarrasser de la souffrance des autres êtres. Donc, une fois que vous voyez la possibilité de la cessation de la souffrance, votre préoccupation pour leur souffrance devient quelque chose de réaliste, sinon ce n’est qu’un vœu pieux.”
Si maintenant nous revenons aux textes, nous comprenons que ce sont les skhandas eux-mêmes, ces aspects de ce que nous appelons une personne, qui sont vides, ou dépourvus de la nature personnelle que nous projetons sur eux. Nous imaginons un Soi stable, permanent. Il n’en est rien. Pour comprendre, il faut ouvrir son esprit et ne pas vouloir se raccorder à ce que l’on sait, ou plu^tot à ce que l’on nous a inculqué ici en Occident. On ne peut comprendre cette notion de sunyata et d’absence du Soi que si on reste ouvert, comme vierge de toute impression mentale antérieure.
En effet, considérons notre corps physique (rupa). À chaque instant, des cellules naissent et d’autres meurent. La naissance et la mort sont indissociables. Notre corps n’est pas une entité permanente. A partir de là, on ne s’identifie plus uniquement à lui ou de le considérer comme un « soi ».
Il y a en nous une rivière de sensations (vedana). Comme l’eau, elles passent, changent. Avec la méditation, on peut parvenir à les transformer. Elles ne sont donc pas permanentes et il n’est plus possible de s’identifier comme étant nos sensations. Il en est de même de nos perceptions / identification (samjna). Quand nos perceptions sont correctes, on se sent bien, mais quand elles ne sont pas
correctes, elles peuvent nous causer toutes sortes de sensations désagréables. Elles sont causes de souffrance. On s’aperçoit qu’elles passent, qu’elles créent de fausses sensations en nous et nous pouvons les transformer.
On dénombre plus de 51 formations mentales (samskara). Les sensations et les perceptions sont des formations mentales. Chaque formation mentale est impermanente. Le cinquième agrégat, la conscience (vijnana), contient tous les autres agrégats et constitue la base de leur existence.
La co-production conditionnée
L’essentiel du concept réside dans la notion d’interdépendance. Ainsi, tous les phénomènes sont composés et interdépendants, que ce soient les objets physiques, les sensations, les perceptions, la pensée, la conscience. Ces cinq «agrégats » (skandhas) conditionnent le maintien de « l’existence des êtres vivants ».
Nous avons déjà vu que les skhandas étaient impermanents. Le texte dit que la forme est le vide. Et lorsqu’on regarde la forme, on ne trouve pas d’existence indépendante, aucune partie de la forme, ni aucune sorte de forme, donc la forme est vide. Si je l’illustre avec notre corps qui est une forme par excellence. Mais notre peau est composée de cellules, elle- même composée d’un moyau et d’un cytoplasme, etc etc. Il y a une dépendance. L’univers immense est fait de matière. Cette matière est composée de particules, d’ions et d’électrons. mais avec la physique quantique on a aussi vu qu’il y a du vide et d’autres particules .. plus toutes celles qu’on ne connaît pas. Il n’y a pas d’indépendance. Tout est lié. Je schématise gorssièrement afin que la notion soit appréhendable.
La stabilité n’est qu’apparente, à l’observation de la vie d’un individu. Les agrégats, non permanents se dissolvent et réapparaissent. La question pourrait être : suis-je vraiment le même ?
La question du soi ou anatman, le non soi
On parle d’anatman en bouddhisme, non soi ou inexistence du soi. Cela ne veut pas dire absence d’ego. Le soi permanent dans les êtres individuels n’existe pas. Là où l’on croit ressentir la présence d’une personnalité durable, il ‘y a qu’une série psychiques faite de moments de conscience successifs qui s’enchainent. La conscience individuelle est un flux qui s’écoule toujours changeant.
Nous nous identifions au corps. Le moi est une fiction élaborée par notre esprit. On identifie le moi à des éléments fugaces : apparence du corps, sentiments (heureux/malheureux), idées, croyances. Il s’agit plus d’une convention nous permettant de nous distinguer d’autrui. mais attention, il n’y a pas de dépersonnalisation dans le bouddhisme. L’utilité et la nécessité d’avoir une personnalité construite ou une bonne estime de soi (réflexif) n’est pas nié; elle est même nécessaire. L’égo n’est pas le soi. L’égo est une structure édifiée à partir des représentations du soi.
Le bouddhisme propose de nourrir un sentiment légitime d’estime de soi, sans complaisance narcissique et en cultivant l’amour d’autrui.
La pratique du mantra
Revenons maintenant au mantra lui-même. Cultiver une pratique quotidienne de récitation du Sutra du Cœur, l’un des enseignements primordiaux du bouddhisme Mahayana, est vanté comme étant une voie remplie de bienfaits transformateurs profonds. Le Sutra du Cœur à un l’immense potentiel de favoriser la sagesse et la compassion – des qualités qui sont au cœur du bouddhisme.
Quelques explications
Ce mantra décrit trois étapes dans la progression de « prajñā » sur la Voie :
- « gate » : la marche sur la Voie (le méditant ne s’identifie plus au spectacle et entame l’ascèse)
- « paragate » : la prajñāpāramitā fait connaître l’absence de nature propre des phénomènes, en vacuité
- « parasaṃgate » : éveil à la vacuité totale par extinction des agrégats individuels (les skandas).
Pour compléter ce qui précède, le mantra du Hridaya sutra rappelle les 5 chemins (marga) sur lesquels progressent les bodhisattvas :
- gate = voie d’accumulation (sambhara-marga),
- gate = voie d’union (prayoga-marga),
- paragate = voie de vision (darshana-marga)
- parasamgate = voie de méditation (bhavana-marga),
- bodhi = voie au-delà de l’apprentissage (ashaïksha-marga)
La naissance de la compassion
La récitation quotidienne de ce sutra révèle des couches de connaissances qui conduisent à une compréhension plus profonde de la « Shunyata » ou de la vacuité, ce qui à son tour permet de cultiver un profond sentiment d’« unité » avec tous les êtres. Le Sutra du cœur contient l’essence des enseignements du Bouddha – la compréhension de la vacuité, qui peut nous guider vers la libération de nous-mêmes et des autres de la souffrance. Selon les mots du vénérable Thich Nhat Hanh, un moine bouddhiste renommé, en pratiquant le Sutra du cœur, nous « pénétrons profondément dans l’enseignement du Bouddha sur la vacuité et réalisons la nature interdépendante de tous les êtres » (PlumVillage.org).
Selon le Dalaï Lama, « méditer sur la profonde sagesse de la vacuité telle qu’elle est encapsulée dans le Sutra du cœur dissout tous les obscurcissements mentaux […] apportant également une paix et une joie profondes ».
Encore une fois, dans cet article, je n’ai fait que compiler l’existant. J’apprends en même temps que vous un petit morceau du bouddhisme, dans lequel je reconnais des morceaux de l’hindouisme. Le Sutra du Coeur est le cœur (c’est le cas de le dire !) de l’enseignement du bouddhisme Mahayana. Il est difficile à comprendre pour nos esprits occidentaux. Alors, cet article est une première approche, une présentation, une introduction à la voie du bouddhisme.