Le Yoga entre tradition et modernité. Ce titre, c’est exactement la question fondamentale qui se pose aujourd’hui pour la pratique du yoga ? Est-ce que la pratique actuelle du yoga, dans sa version transnationale, trahit les textes fondateurs du yoga ? Faut-il bannir les formes modernes du yoga ? Faut-il renier tous les studios de yoga et les formations 200h ?
Retour sur ma propre expérience
Quand j’ai commencé le yoga en février 2014, et comme je l’ai déjà exprimé, je recherchais une pratique sportive. J’ai fait du hatha et du raja yoga et, un temps, du qi gong. Je suis plutôt pitta en médecine indienne et cela explique que je me suis vite tournée vers une pratique physique plus intense : le vinyasa. Avec le vinyasa, j’ai trouvé ce dont mon corps voulait : de la sueur, de la concentration, de l’intensité, du muscle.
Le constat d'un manque
Il me manquait quelque chose; ça c’est peut-être mon côté très studieux et curieux. Aussi, je me suis lancée en 2016-2017 dans une formation de professeur de yoga, 200h. Pour beaucoup de raisons, j’ai souhaité rester à Marseille. Je n’avais pas pour but de devenir prof de yoga. Non, je voulais apprendre, simplement, encore plus.
Un stage ou une formation vous permet d’aller vraiment plus loin. Dans votre pratique physique mais aussi dans votre mémoire émotionnelle, psychique, intellectuelle. Le contact prolongé avec d’autres personnes d’horizons divers vous permet de vous éplucher et de faire sortir ce qui était bien enfoui en vous. C’est un excellent catalyseur et peu de personne échappe à l’utilisation du mouchoir.
Une approche traditionnelle très, trop difficile, pour moi
J’ai accédé à certaines marches de la philosophie du yoga. Un petit morceau. Pour moi, ce n’était pas assez : aussi je me suis mise à amasser documentations diverses et livres.
J’étais très réticente sur la philosophie du tantra assez largement répandu en France sous la forme du shivaïsme du Cachemire, à cause des connotations sexuelles fortement liées dans l’imaginaire. Mais pas que … Quand je vois les livres écrits en français en librairie ou sur internet ou quand vous tapez tantra en mot clé sur google, vous serez surpris des résultats. Et puis, j’avoue qu’en lisant certains ouvrages, j’ai été paumée. Je ne comprenais rien. Je devais relire 3 fois chaque paragraphe pour saisir un peu. Je retrouvais là le malaise que j’avais eu avec la philo en terminale.
Le yoga nidra m'a ouvert de nouvelles perspectives
Et puis j’ai rencontré dans le même espace temps le YOGA NIDRA et ROD STRYKER. Un choc. Une découverte. Et un élan du coeur. J’ai entendu pendant ma formation de vinyasa des doutes quant à ma sincérité dans ma pratique de yoga. Je peux vous dire que c’est resté longtemps accroché comme un chewing gum. On pense toujours que le monde du yoga est un monde de bisounours. Ce n’est pas le cas. Comme ailleurs, la valeur des egos s’affronte. Mais après une période de doute sur ma capacité à être quelqu’un de sincère dans une guidance d’un cours de quelque nature et le sentiment parfois d’être un imposteur, je me suis sentie hyper à l’aise car pile au bon endroit.
Le yoga nidra m’a directement conduite à la philosophie et je me suis lancée dans une formation en ligne avec Rod Stryker car, pour moi, il utilise les mots qui me parlent. Et cette philosophie, c’est celle du tantra. Mais qui dit toucher à cette philosophie, dit aussi approfondir ses connaissances sur les textes classiques du yoga : yoga sutra, Samkhya et Upanishad .. entre autres. Je lis et relis des passages et j’explore à travers ma propre pratique. Et là je me trouve coincée.
Coincée entre modernité et tradition.
La philosophie du yoga n'est pas linéaire
Première erreur, largement véhiculée par les écoles, internet, les livres. Non, le yoga tel que nous le connaissons est loin d’être dans la droite ligne du yoga d’il y a 2500 ans. Ce syndrome de l’imposteur repose sur l’idée que ce que je pratique n’est pas issu des enseignements du départ.
Soyons clair, cette idée de l’origine, c’est l’idée de pureté. Alors il y a ici plusieurs acceptions du mot “pureté”. Pureté par rapport à ce que le yoga est devenu lorsqu’il s’est répandu dans l’Occident. Cette idée que le yoga d’aujourd’hui est complètement dévoyé. Par opposition à ceux qui pratiquent un yoga indien.
J’ai un immense respect pour l’Inde et la philosophie du yoga car l’une et l’autre sont très riches. Mais le yoga a tellement évolué ! D’abord en Inde sur la plus grande période de son “existence” : le yoga comme le conçoit Patanjali n’est pas le Yoga issu du Tantra du Cachemire, ni celui du Hatha Yoga Pradipika. D’ailleurs il existe le raja yoga, le kharma yoga, le bakti yoga, le jnana yoga…. Le yoga a un visage varié. Très divers. Et puis, il y a cette idée très réseau social que le yoga c’est d’abord les asanas. Le yoga n’est pas que les asanas ni même le pranayama. Mais vraiment pas.
Réflexion sur les asanas
Je me suis sentie longtemps frustrée. Parce que ma pratique physique ne ressemble tellement pas au hatha yoga. .. je parle du hatha yoga car c’est ce style là qu’on accole le plus souvent à la tradition indienne. Comment penser que lorsque je modifie les postures pour faire du bien à mon corps, je suis encore en droite ligne avec les valeurs du yoga ?
Est-ce que le yoga traditionnel ne met pas assez l’accent sur la sécurité du corps à l’inverse d’autres styles de postures où les accessoires abondent ?
C’est de fait prendre la question à l’envers. La posture n’est qu’un aspect minuscule du YOGA. Je crois qu’on a beaucoup insisté sur l’aspect corporel parce que le plus visible surtout par des occidentaux dont l’apparence physique, l’enveloppe grossière, est importante. Et puis on est dans cette période (années 70, quand le yoga devient de plus en plus populaire) où il est important de mesurer ses progrès. Voir et montrer. Parallèlement, le fitness prend son essor. Je précise que le yoga a été introduit plus tôt en Occident mais au début du XXème siècle, il s’agit encore d’une pratique isolée, réservée à une élite (élite par l’argent ou la renommée médiatique).
La modernité a cependant apporté des éléments intéressants dans la pratique des asanas : les accessoires (grâce à Iyengar), la connaissance anatomique.
Les formations 200 h , armes de destruction du yoga
Je lis aussi beaucoup de critiques sur les formations 200 h qui ne sont pas les formations 400h de la Fédération Française de Hatha Yoga. Bon d’abord c’est hyper culpabilisant : j’ai l’impression d’être de la sous merde en tant que prof de yoga parce que je n’ai pas opté pour cette formation.
Il est certain que 200 h de plus de formation c’est énorme .. J’apporterai les éléments de réflexion suivants : n’est ce pas la sincérité qui compte dans la pratique du yoga ? N’est-ce pas d’être posé sur son chemin et d’avancer, et de continuer à avancer toujours un petit peu plus qui compte ? N’est-ce pas les efforts de formation qui suivent qui importent ? Je comprends la nécessité d’encadrer avec sérieux l’enseignement du yoga. On voit beaucoup, beaucoup trop, de trucs farfelus qui se présentent comme du yoga.
Mais, quand vous êtes engagé dans cette voie, que vous n’avez pas un diplôme reconnu par la Fédération française de Yoga, que vous lisez que les vrais yogis ce sont ceux qui font du hatha … je me sentais (oui je parle au passé : maintenant cela n’a plus d’importance) un peu petite. On a toujours besoin de se faire valider par une “autorité”. D’ailleurs, pour les personnes qui voudraient suivre une formation : sachez qu’il n’ya pas de diplôme de prof de yoga reconnu par l’Etat. Vous trouverez dans certaines universités des parcours Yoga en STAPS.
Le yoga de la femme, le yoga aérien, le yoga bière, le yoga sur la musique disco, le yoga gestion des émotions … c’est de l’habillage commercial Une façon pour les prof d’avoir plus de clients pour essayer d’en tirer un revenu suffisant pour vivre. Pour moi certaines pratiques ne sont que du sport, les autres, de l’arnaque de pseudo science. Si je comprends que nous soyons animés des meilleures intentions du monde et vouloir aider les gens, certaines propositions ne sont pas honnêtes. Le prof de yoga n’est pas thérapeute (sauf s’il a suivi des études médicales). On ne s’improvise pas psy. On peut avoir une vraie responsabilité quand on crée un cercle de paroles ou un atelier de gestion des émotions ou qu’on clame les vertus thérapeutiques de telle ou telle pratique. Je dirai même que c’est mensonger.
Si les profs ne font que 200 h, sachant que dans 200 h de formation, on ne voit que les asanas et comment on peut enseigner, alors oui les formations 200h détruisent le yoga. Ou plutôt détruisent une image du yoga. Le yoga existera toujours. Il coexistera toujours un yoga au plus près des origines, et des formes très originales, édulcorées d’un yoga néo libérale et superficielle. Le yoga a toujours évolué. Et il continuera.
Alors entre tradition et modernité, je ne tranche pas. Je suis les 2. Je fais les 2. Parce que ce qui compte réellement, ce n’est même pas la capacité à animer un bon cours en tant que prof, c’est d’agir le plus possible en sincérité et de s’observer.
Et aujourd’hui, je suis en capacité de voir à quel moment, je perds la pédale de l’authenticité ou de l’absence de critique. Et quand c’est le cas, j’essaie d’arrêter la machine et de faire silence pour voir ce qui émerge. A ce moment là, cette émotion perd de sa consistance et ne devient qu’un souffle. Et à ce moment là, je sais aussi que je suis en capacité de COMPRENDRE, de PARDONNER, de SAVOURER ce qui a été sans projeter et de ne pas ETRE DECUE. Car après tout, le yoga (tout court ni moderne ni traditionnel), c’est aussi cela.