ISVARA
notion centrale des Yoga Sutras I.24-I.29
Les sutras I-24 à I-29 sont les suivants (j’ai repris la traduction de Jean Bouchart d’Orval (Patanjali et les Yogas sutras) :
क्लेशकर्मविपाकाशयैरपरामृष्टः पुरुषविशेष ईश्वरः॥२४॥ klesa-karma-vipaka-asayair-aparamrstah-purusa-visesa-isvarah – Le Divin est cette Présence unique, libre de toute souffrance, de toute action, de toute cause et de toute conséquence.
तत्र निरतिशयं सर्वज्ञबीजम्॥२५॥ tatra niratisayam sarvajna-bijam – En Lui s’épanche la source absolue de l’omniscience.
पूर्वेषाम् अपि गुरुः कालेनानवच्छेदात्॥२६॥ sa esa purvesam-api guruh kalena-anavacchedat – Il est au delà du temps; Il est le Maître des anciens.
तस्य वाचकः प्रणवः॥२७॥ tasya vacakah pranavah – On l’évoque par le son sacré Aum.
तज्जपस्तदर्थभावनम्॥२८॥ tad japah tad-artha bhavanam – Nous devrions répéter le nom du Divin et en réaliser l’essence.
ततः प्रत्यक्चेतनाधिगमोऽप्यन्तरायाभावश्च॥२९॥ tatah pratyak-cetana-adhigamah api-antaraya-abhavah-ca – Alors la connaissance de l’Esprit unique s’épanouit et les obstacles s’évanouissent.
Isvara : étymologie et histoire
La racine du mot, īś- (ईश), signifie “capable de” et “chef de “.
La seconde partie du mot, vara, selon le contexte, peut signifier “beau, excellent, choix, souhaite, prétendant, amoureux”.
Littéralement, Īśvara veut dire “celui qui possède le beau“, “celui qui détient les choix, les souhaits” ou “le chef de l’amour”.
Īśvara dans les textes sanskrits anciens et médiévaux prend différents noms : Dieu, Etre Suprême, Ame Supreme, Roi, Seigneur, Shiva, prince, mari.
Le mot Īśvara n’apparait pas dans le Ṛg Veda. Par contre, on y trouve īś- , qui dans le contexte prendrait la signification de “être capable de”.
Il apparaitra dans les Dharmasūtras où il signifiera Vedas, savoir, et pas Dieu.
Pour la tradition shivaïte, il est Shiva car il compose “Maheśvara” (“Grand Seigneur“), autre nom de Shiva.
Dans le bouddhisme Mahayana, le terme apparaît dans le nom du grand boddhisattva de la compassion “Avalokiteśvara” (“le seigneur qui voit les souffrances du monde”.
Isvara ou ... se donner du temps pour y accéder
En regardant quand j’avais écrit le précédent article sur les Yoga Sutra, Etude des yoga sutras : Isvara I-23 à I-27 je réalise à quel point il faut se laisser le temps. Le temps d’explorer sa façon de faire du yoga puis de la confronter aux textes. L’avantage de ce blog, c’est qu’il me permet de mesurer ce chemin, d’en voir les sentiers de traverse, les détours nécessaires (à mon sens). Je n’ai aucune qualification particulière pour affirmer qu’il faille comprendre tel sutra de telle façon. Je ne suis pas sanskritiste, ni philosophe, ni universitaire. Je suis une simple pratiquante qui cherche à adopter de la manière la plus sincère la voie du yoga, bien que “la voie” soit très réducteur. Je dirai donc une voie du yoga.
Et puis je me suis aperçue que mon découpage sur le dernier article n’était pas suffisamment cohérent. C’est pourquoi, je reviens sur des sutras déjà “vus” pour les mettre en cohérence avec les suivants. C’est d’ailleurs intéressant de constater que le sujet sur lequel je reviens deux fois soit celui du Divin, dieu / Dieu, Absolu ou Grand Tout.
Selon moi, c’est ici où le yoga devient “spirituel”. Non pas une religion : ça c’est l’hindouisme et je ne suis pas hindoue, ni ne souhaite le devenir si cela eut été possible. C’est ce qui fait d’ailleurs du yoga, ce “phénomène” mondial. Comme il n’est pas une religion, il peut être embrassé par n’importe qui. Ceci étant dans de très très nombreuses pratiques, il est dépouillé de toute introspection spirituelle pour n’être qu’une pratique physique. Par ailleurs, c’est ce même argument qui va permettre de voir se développer le “yoga” authentique ou indien des autres formes de yoga.
Isavara, yoga : une rencontre de coeur à coeur
Pour dépasser ce débat, j’embrasserai la définition qui en a été donné lors du cycle de cours que j’ai suivi avec Joaquim Vallet : une rencontre de cœur à cœur. D’ailleurs cette définition recouvre à la fois yoga et samadhi. Je la trouve très belle en ce sens qu’elle revient à l’essence et échappe ainsi à toute polémique, à mon sens bien vaine et creuse.
Isvara, un purusha
Le Divin est un Purusha particulier, l’Etre, le Purusa Visesa. Il est distinct des autres purusa qui sont affligés par klesha et karma (Yoga Sutra de Patanjali – YS I.4 – I.6). Et cet Etre est Tout, non perturbé par les histoires qui se déroulent en lui puisqu’il est au delà de ces histoires. Etant différent de l’âme individuelle, Atman, on l’appelle Isvara.
Il est omniscience
Il est le germe (bija) de l’omniscience et il n’est pas limité par le temps. Et il est représenté par AUM, le mantra bija par excellence, germe de tous les mots. Aucun mot ne peu commencer, résonner ou se terminer sans ces trois sons. On dit de Aum (Om) qu’il représente les 3 gunas, les 3 aspects du temps (passé, présent et futur), les trois guru (la mère, le père et le précepteur), la triade Hindoue (Brahma le créateur, Vishnu le protecteur et Siva le destructeur de l’univers).

Isvara et japa
Japa est la répétition du mantra (cf Les mantras). Quand vous chantez des mantra n’avez vous jamais ressenti que vous étiez comme à la fois sublimé, concentré, à 100 % entier dans le son ? Japa commence par une répétition mécanique et passe ensuite par étapes dans une forme de méditation et de développement des couches les plus profondes de la conscience (le pratyak cetana, le retournement vers l’intérieur). On se rapproche ainsi ici de la voie de la Bhakti (la voie de la dévotion) : agir en déposant au pied de Isvara le fruit de mes actes. Ce qui est intéressant ici de noter c’est que bien souvent on ne sait pas ce que l’on chante : quand on chante un mantra, pour ma part, je n’ai pas la traduction qui me vient en l’esprit. C’est ce côté “magique” du mantra qui agit. De plus, il n’y a plus de “je” : on chante complètement absorbé. Il y a même un moment où l’on ressent la vibration intérieure, où le corps s’efface.
La connexion à l'intime
La connexion intime décrite est la transformation ou révélation la plus profonde que nous puissions expérimenter : c’est le but de yoga. Cette expérience, c’est quoi ? C’est la réalisation que le Soi est au delà du corps, des pensées et des émotions. C’est pour cela que l’on parle souvent de spiritualité en parlant de yoga. Ce n’est pas la question d’un dieu comme dans une religion, c’est la connexion à la fois avec quelque chose qui nous dépasse et qui est la sagesse infinie. Enfin, je dis ce n’est pas la question d’un dieu. Peut être que vous vous y verrez un dieu. Ce n’est pas que le yoga soit ou non théiste ou que l’on doive prendre position. Non. En tous les cas dans mon acception moderne. Mais le yoga ne vise pas à s’unir avec une immanence transcendante différente de soi puisqu’au bout du bout on est cette universalité sans temporalité ni espace. Des universitaires y ont vu la présence d’un dieu. La question a été discutée, surtout par opposition à l’autre Darshana qui précède Yoga, à savoir le Samkhya (cf la série écrite sur le Samkhya Philosophie du yoga : comprendre les textes indiens du yoga, Philosophie indienne : le Samkhya et la souffrance, Le Samkhya : une cosmogonie de l’Univers …).
On retrouve dans le tantrisme cette idée que nous sommes Brahman (cf Brahman, Atman, Tu es Cela), ce grand TOUT. C’est un peu l’idée que je me fais : nous sommes séparés d’Isvara, enfermés dans karmashaya, ce grand réservoir des mémoires du monde nous rattachant à notre condition humaine. Par yoga (rappelez vous la rencontre de cœur à cœur), nous dépassons notre condition, cette évasion vers l’extérieur qui nous caractérise (par opposition à pratyak cetana, le retour vers l’intérieur) pour ne plus être séparé par ce qui est plus grand qui est notre véritable nature.
Cependant, je souhaite rajouter que autant le tantrisme est non dualiste, d’où cette unité avec le grand Tout, autant les Yoga Sutra ne sont pas tantrique. Ce qui veut dire ? Ce qui veut dire que les explications donnés ici passent aussi au travers de mon ressenti strictement personnel qui “enjolive” un peu les choses. On a tendance dans notre époque moderne à rapprocher la non dualité du concept d’Isvara décrit par Patanjali.
Est-ce que cela est réalisable ? Quand je lis mes précédents mots, je me dis Holala ! Non. Mais , il y a un mystère pour moi. Ce que je ressens ou ce que je suis (mettre des mots ce n’est pas facile) quand je pratique yoga (le chant de mantra étant du yoga). Alors on peut s’appliquer à diminuer tous ces stimuli qui nous tirent vers l’extérieur. Et puis réaliser que oui il y a bien des moments où nous sommes transcendés où ces rencontres de cœur à cœur, même si elles sont brèves, existent bien.
Je vous invite également à lire et relire les Yoga Sutra. A chaque fois, on y trouve une nouvelle dimension ou un élément qu’on avait oublié.
Relire les Yoga Sutra sans les commentaires et avec.
Marc Ballanfat dans Yoga, l’Encyclopédie sous la direction d’Ysé Tardan Masquellier
Françoise Mazet, Yoga Sutra
Jean Bouchard d’Orval, Patanjali et les Yoga Sutras
BKS Iyengar, Lumière sur les Yoga Sutra de Patanjali
I.K Taimini, la Science du Yoga de l’humain au divin
Un très bon site Vedanta & Hinduism | Red Zambala
Yogic Studies Yogic Studies | History, Philosophy, Language

Et puis, vous pouvez me rejoindre pour suivre mes cours ou ateliers. Pour en savoir plus, cliquez ici – Mes ateliers.