Philosophie indienne : le Samkhya et la souffrance

Le point de départ du Sâmkhya est la constatation de la souffrance. Et la condition humaine est insatisfaisante, car elle est synonyme de souffrance. Elle est de trois sortes dans le Sâmkhya-Kârikâ, “Frappé par trois sortes de souffrances, l’homme désire enquêter sur les moyens de les détruire.” (S-K, 1) :

      • adhyatmika, la misère qui vient de soi-même : les désirs et les frustrations qui s’ensuivent.

      • adhibhautika, la misère qui vient des autres

      • et adhidaivika, la misère d’origine céleste.

    Le bonheur, lui même est source de souffrance, du fait de son impermanence. On vit dans l’angoisse de ne plus être heureux, de ne plus avoir d’argent ou de ne plus être à l’aise financièrement, de tomber malade, de mourir. On ne vit pas dans le moment présent mais dans une projection continue de nos angoisses, même si elles n’ont aucun fondement. Pour les Indiens, même la mort n’est pas source de réconfort, car elle ne fait que s’inscrire dans le cycle infernal du samsara en annonçant une nouvelle vie avec la réincarnation.

    De fait l’impermanence des choses et de la vie nourrit nos angoisses. C’est une peur du lendemain qu’il est parfois très difficile de contenir.

    Le Samkhya, la voie de la libération ?

    Le Samkhya part de ce principe pour chercher un moyen de s’en libérer, kayvalya (la délivrance). La souffrance devient alors l’élément qui permet de chercher un moyen pour s’en libérer. Elle est la condition nécessaire pour atteindre l’affranchissement et revêt alors une valeur positive et dynamique.

    Le constat ? L’homme a une fâcheuse propension à ignorer la nature de son propre esprit. Un voile sur celui-ci entretient la confusion : avidya. 

    E d’autres termes, Purusha reste liée à Prakriti. La conscience pure reste liée à la Matière. C’est alors que nous entretenons la confusion entre impermanence et intemporalité, la matière grossière prenant le pas sur la matière subtile, le superficiel sur le profond. L’ensemble des stimuli et des perceptions de nos sens entrainent la confusion sur qui l’on est.

    Pourquoi ? Rappelez-vous ! La cause des déséquilibres, ce sont les gunas ou plutôt le jeu des gunas. Ce sont eux qui entrainent un déséquilibre des différents éléments de l’organe interne  (antakharana), à savoir Buddhi, ahamkâra et manas. Dès lors il n’y a plus aucune hiérarchie entre eux. La conscience devient limitée. La perception juste des choses devient confuse, éloignée de la véritable nature et de la lumière de Purusha. Manas et Ahamkara prennent le dessus sur Buddhi et vont rechercher la jouissance, l’assouvissement immédiat d’un désir. Et c’est buddhi, l’intellect, qui est voilé. Souvenez vous buddhi a été créé par sattva !

    Pour que ce soit plus clair, allez lire voire relire l’article de presentation du Samkhya, Le Samkhya : une cosmogonie de l’Univers … ainsi que celui sur les gunas, Les gunas dans le yoga.

    Et puis, ci-dessous, la cosmogonie du Samkhya en résumé.

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    Quelles sont les différentes façons de percevoir les choses selon le Samkhya ?

    Le karika 7 en fait la liste : “Les objets ne sont pas perçus du fait : d’une distance excessive; d’une proximité excessive; d’une infirmité des sens; de l’inattention; de leur petitesse ou subtilité; d’être dissimulés; d’être relativisés; d’être mêlés à des objets semblables.”

    Observons notre vie quotidienne. Pouvons-nous percevoir ce déséquilibre ?  Combien de fois faisons-nous référence à notre mental ou à nos idées fausses qui nous perturbent ? Combien de fois voyons-nous une “réalité faussée”, c’est à dire que nous croyons vraie ? Moi je la vois. Pas forcément dans le moment car je ne suis pas à 100 % présente parce que manas et ahamkara ont mis un voile devant mes yeux. Mais l’instant d’après, je me rends compte. Oui. Et toutes les fois où mon mental se raconte des histoires. Combien d’énergie est ce que je perds à combattre par exemple ce sentiment de l’imposteur dans le monde du yoga ? Combien de fois ne me suis-je pas dit que mes yoga nidra étaient nuls ? Et mes cours ? Cela va au-delà d’un manque de confiance. C’est aussi une vue biaisée de qui nous sommes vraiment. Parce que nous nous voyons avec des yeux qui ne reflètent pas la réalité, sans nos affects. Parce que des mots dits par quelqu’un vont nous marquer, rester, comme marqués au fer rouge dans notre mental. Cependant, dans ce que je viens d’écrire, il y a déjà un progrès : si je m’en rends compte c’est que je deviens témoin. Une distance s’établit. Les sens commencent à ne plus être infirmes. Un morceau du voile de l’ignorance se lève.

    Le plus important est de se rendre compte. Et honnêtement, dans la vie d’aujourd’hui, nos sens sont saturés d’images, de sons, de fausses idées. A tel point que nombre d’éléments sont factices et ne reposent pas sur la REALITE. Du coup, avidya est ce qui nous guide. On fait appel à notre “intuition”. Mais celle-ci aussi est biaisée puisqu’elle est pétrie de nos affects.

    Ce que nous dit le SAMKHYA c’est que lorsque nous voyons vraiment les choses, nous cessons d’être malmenés par nos émotions et nous voyons la réalité toute nue. Et comme nous SAVONS ce qu’est la réalité, que nous comprenons parce que nous l’intégrons l’impermanence des choses, alors la souffrance cesse.

    Les remèdes proposés par le Samkhya

    Le moyen de remédier à cela ? Reconnaître le Purusha dans son essence. La libération, kayvalya, consiste à remettre de l’ordre dans le rôle des éléments de l’organe interne. Buddhi, ahamkâra et manas doivent retrouver leur place dans la hiérarchie et fonctionner correctement. L’usage de la discrimination et de la connaissance (jnana) permet de restituer les rôles : revoyez le schéma ! Le samkhya c’est le yoga de la connaissance : “Seul un ignorant prétendra que l’action dévotieuse [le karma-yoga] conclut autrement que l’étude des éléments matériels [le sankhya-yoga]. Les vrais érudits l’affirment, si l’on suit parfaitement l’une ou l’autre voie, on atteint leurs fins communes” (cf la Bhagavad Gita, chapitre V verset 4).

    “La séparation d’avec le corps ayant été atteinte lors de l’arrêt de Matière (Prakriti), celle-ci ayant atteint son but, le Purusha obtient l’isolement-libérateur (kaivalyam) qui est à la fois nécessaire et infini” (S-K. 68).

    Alors, “lorsqu’il a atteint l’état où la vertu (..) cessent d’opérer en raison de son obtention de la connaissance correcte, il reste pourvu d’un corps du fait de l’emprise des constructions psychiques résultant du passé, comme la roue du potier qui continue de tourner.” (S-K. 67). Il n’y a pas mort physique. C’est le jîvanmukta, le libéré-vivant. Il est libéré car il a reconnu Purusha. Il a une existence sur terre le temps que Purusha soit définitivement libéré et ne soit plus lié à Prakriti. Alors il quittera le corps physique.

    Ce que j’apprécie dans le Samkhya c’est ce retour vers la compréhension de ce qu’il se passe en soi. C’est une façon de discriminer qui à mon sens est une clé de lecture, notre clé de lecture interne. Personnellement à l’aide bien entendu des autres textes et de ce que j’apprends tout les jours, en m’observant, j’essaie de saisir les raisons de certaines actions ou paroles, lorsque tout d’un coup tout part à 100 à l’heure. C’est pour cela que je ne cesse de dire que je suis sur mon chemin : celui-ci ne s’arrêtera jamais …

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