Yoga Sutra de Patanjali
Les différents types de concentration
I.17 à I.19
वितर्कविचारानन्दास्मितारूपानुगमात् संप्रज्ञातः॥१७॥
vitarka-vicara-ananda-asmita-rupa-anugamat-samprajnatah
विरामप्रत्ययाभ्यासपूर्वः संस्कारशेषोऽन्यः॥१८॥
virama-pratyaya-abhyasa-purvah samskara-sesah-anyah
भवप्रत्ययो विदेहप्रकृतिलयानाम्॥१९॥
bhava-pratyayah videha-prakrtilayanam
I.17 Le discernement de la réalité prend la forme de contemplation d’un objet grossier ou subtil, de béatitude et de sentiment de pure existence.
I.18 Après l’expérience répétée de la pause, un autre état voit le jour ; il y substitue des impressions latentes.
I.19 C’est l’état d’être de ceux qui se sont détachés du corps et qui se sont absorbés dans la nature.
Samadhi : explications
L’esprit a besoin d’un objet pour se concentrer. Mais à l’intérieur de chaque objet se trouve une focalisation plus subtile… et puis une autre… et enfin la plus subtile de toute.
La réalisation de soi est le but ultime du yoga : purusha khyati. Dans le processus de réalisation du Soi, le mental est le principal moyen ainsi que le plus grand obstacle. Un esprit clair et concentré nous permet de voir ce que nous sommes, mais un esprit impur et perturbé bloque et déforme notre vision intérieure. Afin de purifier notre esprit et de le rendre concentré sur un seul point, nous devons d’abord le retirer du monde extérieur et le concentrer sur un objet. Mais l’esprit a pris l’habitude de s’occuper d’un objet après l’autre. Indépendamment de la façon dont l’absorption spirituelle est induite, nous devons continuer à pratiquer. Ce n’est qu’alors que nous atteignons la maturité dans cette expérience.
Tous les objets connus de l’esprit peuvent être classés en quatre grandes catégories qui constituent le samprajnata samadhi.
1- Vitarka anugata samadhi : l'absorption dans l'analyse
Le premier comprend des objets qui sont physiques et peuvent être expérimentés par les sens. Par exemple, vous pouvez concentrer votre esprit sur un lotus. Au début, votre esprit vagabonde; puis, parce que vous êtes résolu, l’esprit revient à l’image du lotus. Au fur et à mesure de la pratique, le pouvoir de concentration augmente et l’esprit reste plus longtemps fixé sur l’image du lotus. Et puis, il advient un moment où la concentration se prolonge sans interruption. Pendant cette période, l’esprit devient clair comme un cristal. Il est stable. C’est alors qu’il nous est possible d’avoir une compréhension claire de soi-même. C’est pour cette raison que cette étape de concentration en un seul point est considérée comme un état de samadhi. Cependant, ce n’est pas un état parfait d’absorption spirituelle, car nous restons conscients de la concentration sur l’objet. On appelle cette étape du samadhi, c’est vitarka anugata samadhi, c’est-é-dire une absorption spirituelle suivie d’une concentration sur un autre objet. Pourquoi ? Parce qu’elle elle sera inévitablement suivie d’une perturbation causée par un autre objet qui détournera l’esprit de l’objet de concentration premier. Ce mode de concentration est sous divisé en 2 c&tgories : savitarka (avec réflexion) et nirvitarka (sans réflexion). On retouvera savitarka et nirivitarka à la fin du 1er pada sutra 42 et 43.
2- Vicara anugata samadhi : l'absorption dans l'intuition
La deuxième catégorie d’objets qui peuvent être connus de l’esprit sont ceux qui prennent la forme de pensées. Il s’agit de la mise en application du discernement, de l’évaluation. Le cerveau raisonnant, il trouve plus de clarté et de stabilité, ce qui permet de faire l’expérience de son Soi intérieur. On commence la méditation en se concentrant sur un type particulier de pensée (ce qu’on appelle vicara) mais on finit par être involontairement attiré par une autre pensée (vicara) ; l’absorption induite par cette méditation est appelée vicara anugata samadhi. Comme dans la précédente concentration, il y a deux sous catégories, savicara (avec raisonnement) et nirvicara (sans raisonnement). On retrouve ces 2 catégories au sutra 44.
3- Ananda anugata samadhi : la béatitude
La troisième catégorie d’objets est contenue dans nos sens (Iyengar lui parlera de sagesse et non pas de sens) sous forme de joie (ananda). Le corps est un dépositaire d’expériences agréables et désagréables. Grâce à la pratique, on peut accéder à ce réservoir de plaisir sensoriel qui se trouve en nous. Ce plaisir ne dépend pas d’un stimulus extérieur. L’esprit court d’un objet à l’autre à la recherche du bonheur. Une fois qu’il a trouvé ce plaisir à l’intérieur, il perd son intérêt à chasser les objets et devient stable. Mais l’état d’absorption spirituelle induit par la méditation sur cette forme de joie suivra le même schéma que les deux catégories précédentes : il commence par la méditation sur la joie (ananda) et est involontairement perturbé plus tard par le désir ou l’idée d’autres formes de joie. Cet état est appelé ananda anugata samadhi.
4-Asmita anugata samadhi : la conscience du "je"
La quatrième catégorie d’objets connus de l’esprit est notre sens pur du je-suis. On se retire d’abord de toutes les affaires du monde et on prend conscience de soi-même en tant qu’espace occupé par notre corps. On concentrez notre esprit sur le sentiment de “je suis” qui imprègne tout notre corps. Grâce à une pratique constante, on perd la conscience du corps et on devient conscient de notre respiration. Puis, on va au-delà en sentant que nous sommes un être pensant. Et encore au-delà, restera le sentiment d’existence du Soi (purusa. Si vous n’êtes pas familier avec le concept de Purusa, un petit toutr du côté de la philosophie du Samkhya s’impose. Allez lire Le Samkhya : une cosmogonie de l’Univers). Lorsque vous utilisez le sens du je-suis qui s’identifie à l’existence du Soi comme point focal, alors l’absorption spirituelle qui émerge est appelée asmita anugata samadhi. Mais même ici, l’absorption spirituelle peut être involontairement perturbée par le sentiment de je-suis se rapportant à d’autres objets, tels que le corps ou les sens. C’est d’ailleurs une des premières identifications : je suis blanche, je suis un femme, je suis petite je suis vieille .. C’est la maturité de l’expérience, le fait d’y revenir qui va nous permettre d’être dans cet état plus longtemps.
En résumé, pour comprendre ce qu'est samadhi!
Pas simple ! Mais comme il faut se familiariser avec les notions, voici un tableau récpaitulatif. J’ai suivi Iyengar qui sort Nirbija samadhi (qui est au final Kayvalya, l’isolation, de la catégorie “asamprajnata samadhi”. D’autres commentateurs n’introduisent pas ce distingo. Il y a aussi un sens, une direction : l’emprunt de toutes ces étapes permet d’arriver à Nirbija samadhi.
Bon je vous dirais aussi que d’après Iyengar, seulement certains yogis ont atteint ce niveau : Aurobindo, Ramana Maharsi et Ramakrsna Paramahamsa. Cet état n’est possible que par une pratique constante et prolongée.
Précisions sémantiques : quand vous voyez un mot commençant par “a”, il signifiera le contraire du même mot sans ce “a”. De même “bija” signifie semence.
Samprajnata samadhi
Présence du contenu du mental : la conscience est attirée vers l’extérieur
Etude analytique, discernement, béatitude et réalisation de l’êtreté : vitarka, vicara, ananda, asmita
Notion d’ego présente : sens de l’individualité
Sabija samadhi (samadhi avec support ou semence) : savitarka, nirvitarka, savicara, nirvicara, ananda, asmita
vivekakhyāti, discrimination entre le Soi et le non-Soi
Asamprajnata samadhi
Absence de contenu du mental : rien n’attire la conscience vers l’extérieur et rien ne la retient à l’intérieur si bien que la conscience se détourne d’un extérieur pour aller en son centre puis se tourne ensuite vers un plan supérieur.
Virama pratyaya : perte de la notion du “je”
Nirbija samadhi
Sutra I.50 et I51
samadhi sans support ou sans semence
La méditation, en pratique
Le cœur de la pratique est la méditation. Méditer est une pratique difficile. En tous les cas, au début. On ne sait comment faire : l’assise, les idées qui vont et qui viennent, en silence ou en suivant une pratique guidée, le temps dévolu, le nombre de fois dans une journée, avec ou sans objet ou mantra. La méditation se faisant progressivement plus subtile, notre Être étant moins orienté vers un résultat, alors, une joie monte du plus profond.
Comment méditer ?
L'assise
Je ne vais pas vous parler de méditation de pleine conscience ou de telle ou telle pratique zen, bouddhiste. C’est notre esprit d’Occidentaux qui a besoin de poser des mots. J’en fais partie. Ceci étant depuis que je m’emploie à abandonner certains cognitifs, la méditation est devenue plus facile.
L’assise est importante. Au départ, on ressent beaucoup d’inconfort car l’idéal est de ne pas bouger. Mais si vous avez mal, changez de position. Foutez vous la paix sur ce point (merci Fabrice Midal) ! Utilisez un mur pour votre dos, un coussin ou même le dossier de votre canapé.
Pas besoin de se positionner en lotus : vous pouvez vous faire très mal aux genoux (et ce n’est pas une douleur immédiate) ! Les jambes croisées c’est parfait. Si vos genoux sont hauts, loin du sol, vous pouvez placer sous vos cuisses des coussins. Pourquoi ? Vos fléchisseurs de hanches sont tendus. Il y a un effort. Et le temps de la méditation, vos muscles vont vous faire savoir qu’ils sont fatigués d’être en extension. Les coussins vous permettront de ne pas ressentir d’inconfort. Vous pourrez ainsi méditer plus longtemps.
Vous pouvez être les jambes allongées sur le sol : vous aurez alors besoin d’un support derrière vous car notre bassin n’est pas orienté de telle façon que l’assise soit sans effort !
Et vous pouvez être assis sur une chaise : les pieds doivent seulement être déposés sur le sol pour q’il n’y est pas d’effort dans vos jambes.
Le positionnement des mains
Vous êtes libres. Il n’y a pas de convention. Les mains peuvent être déposées paumes contre les genoux, ou paumes vers les ciel. Vous pouvez réaliser un mudra avec les doigts.
Indu Aurora définit ainsi les mudra : “La racine du mot sanskrit mudra est mud, qui signifie communiquer la félicité, le bonheur, le plaisir, la joie, ananda. Les mudra sont un moyen d’atteindre Ananda-Sri. Ananda signifie pure félicité et Sri symbolise ici l’énergie féminine. L’énergie féminine monte pour rencontrer l’énergie masculine et la joie de cette union est Anada-Sri. Autrement dit cette félicité est atteinte à travers les pouvoirs divins des mudra ou “gestes de la main”, qui soulignent, intensifient la concentration sur le Divin et attirent sa Bénédiction.”
Vous pouvez avoir les mains en Dhyani Mudra , le geste de la méditation et de la paix. La main droite sur main gauche, paumes de mains tournées vers le haut. La main droite repose dans la main gauche Les bouts des pouces se touchent. Les mains sont posées sur les cuisses.
Ou en Cin Mudra : paumes sur le genou, les bouts de l’index et du pouce se touchent. L’annulaire, le majeur et la’uriculaire sont sa ns tension. L’index et le pouce créeent une légère pression. Indu Aurora dit que c’est “comme si vous teniez une pincée de l’essence de la vérité“.
Le reste du corps
Méditer c’est être sans tension. Et nous sommes des êtres bourrés de raideur. C’est pur cela que je vous incite à avoir un support pour le dos.
Observez votre corps et essayez (je dis essayez) de détendre les parties du corps qui vous semblent tendues. Généralement il y a le cou, les épaules et les mâchoires qui sont dans ce cas là. C’est le trio. Et en plus ce sont des parties du corps qui sont liées.
Pour déserrer les mâchoires vos pouvez entrouvrir légèrement les lèvres. Sharon Salzberg incite à les entrouvrir de telle façon que vous puissiez y faire passer un gain de riz. Les dents ne se touchent pas.
Détendre le cou et les épaules, c’est essayer de bien positionner ses oreilles au dessus des épaules, de pousser le haut du crâne vers le plafond et d’avoir la base du crane aligné avec votre bassin. Et essayer de relâcher vos omoplates vers le bas du dos !
Méditer combien de temps ?
Méditer ce n’est pas facile, c’est même inconfortable. Beaucoup arrête de méditer parce qu’ils pensent ne jamais y arriver. N’exigez pas trop de vous. Faites simple. 5 min. Puis si vous vous trouvez bien passez à 10, puis 15 puis … c’est vous qui choisissez. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise méditation. Ne vous comparez pas aux autres.
Comment savoir combien de temps vous méditez ? Utilisez votre montre ou téléphone. C’est vrai qu’au départ quand on ferme les yeux, on a l’impression de les avoir fermé longtemps alors que parfois il ne s’est écoulé que 2 min !
Et puis persévérez !
Méditer à quel moment ?
Quand vous voulez ! L’essentiel c’est de méditer !
Cela peut être juste après vous être levé, dans le métro, avant le repas de midi, à 16h ou avant de vous coucher.
Méditer avec quel support ?
Utilisez ce dont vous avez envie et besoin. Au départ, utilisez une méditation guidée c’est bien car il y ce support en tant qu’aide qui va vous mener jusqu’au bout. La voix focalise le mental.
J’adore les méditations guidées mais ce n’est pas ma pratique habituelle. Je les utilise quand j’ai besoin d’^tre soutenue ou que je rencontre une intention qui me plait et que j’ai envie d’expérimenter avec ce professeur. Mon mental n’accepte pas les méditations en français car il rationalise beaucoup et va commenter. De fait les méditations en anglais me séduisent car elles focalisent mon esprit sans l’enfermer dans le mot. Bien sûr au départ, il me faudra franchir l’obstacle de la traduction.
Vous pouvez vous focaliser sur votre respiration, une de mes partiques préférées. Elle me permet de rentrer dans mon corps. Ce sera par exemple l’observation du corps qui bouge avec la respiration ou bien la sensation de l’air dans le corps ou bien le bruit de votre respiration. Et puis la respiration calme le corps et permet de se détendre. Comme je médite tout de suite en sortant de mon lit, c’est une magnifique sensation qui se crée.
Vous pouvez utiliser un mantra. C’est ma pratique personnelle avec la récitation de mon dharani. Choisissez ce qu’il vous plait. Pour ce qui me concerne, je n’ai pas choisi mon dharani. Il m’est tombé dessus après seulement 30 min de chant, il m’a obsédé des jours entiers : ma tête le chantait jours et nuits. Réciter mon dharani c’est prier et entrer dans ananda puis asmita (cf le début de l’article).
Exemples de mantra : OM. Ou encore OM MANI PADME OM (cf mon article).
Lisez mon article sur Les mantras.
Vous pouvez également regarder une flamme de bougie ou un mandala. De fait, on peut méditer les paupières abaissées ou les yeux mi-clos. La difficulté d’avoir les yeux ouverts c’est de laisser l’image que voit nos yeux nous distraire !
Encore quelques mots
Prenez le temps de vous observer en train de méditer. Avez-vous des attentes ? Vous blâmez-vous si des pensées vous attrapent un moment ? Est-ce que cela a une incidence sur ce que vous éprouvez ?
Trop de conseils déstabilisants circulent sur les réseaux sociaux. Ne cherchez jamais la perfection : elle n’existe pas ! De plus, vous passez alors complètement à côté. Ce n’est pas d’une personne fabriquée dont le monde a besoin mais de vous dans votre vérité et pas de la façon dont les autres pensent vous connaitre ! Alors persévérez, ne vous mettez pas la rate au court bouillon. Soyez gentil avec vous. Mais persévérez. Et si vous vous êtes arrêté, recommencez !
Pour aller plus loin
J’ai enregistré un épisode du podcast Au fil du Yoga sur Bonheur, samadhi, extase. Allez l’écouter si vous ne l’avez pas déjà fait !
Il y a aussi un podcast sur les mantras.
Et deux autres sur la méditation.
Je vous invite également à lire et relire les Yoga Sutra. A chaque fois, on y trouve une nouvelle dimension ou un élément qu’on avait oublié.
Relire les Yoga Sutra sans les commentaires et avec.
Marc Ballanfat dans Yoga, l’Encyclopédie sous la direction d’Ysé Tardan Masquellier
Françoise Mazet, Yoga Sutra
Jean Bouchard d’Orval, Patanjali et les Yoga Sutras
BKS Iyengar, Lumière sur les Yoga Sutra de Patanjali
I.K Taimini, la Science du Yoga de l’humain au divin
Fabrice Midal, Foutez vous la paix
Indu Aurora, Mudra, le secret sacré
Sharon Salzberg, Apprentissage de la méditation
Et puis, vous pouvez me rejoindre pour suivre mes cours ou ateliers. Pour en savoir plus, cliquez ici – Mes ateliers.