Yoga Sutra de Patanjali – YS I.12-I.16

Abhyasa et Vairagya - pratique et lâcher prise
Yoga Sutra de PatanjaliI.12-I.16

अभ्यासवैराग्याअभ्यां तन्निरोधः ॥१२॥ – abhyasa-vairagya-abhyam tan-nirodhah ||12||

L’arrêt des pensées automatiques s’obtient par une pratique intense dans un esprit de lâcher-prise

तत्र स्थितौ यत्नोऽभ्यासः ॥१३॥ tatra sthitau yatno-‘bhyasah ||13||

En ce cas, Abhyâsa c’est un effort opiniâtre dans la stabilité

स तु दीर्घकाल नैरन्तर्य सत्काराअदराअसेवितो दृढभूमिः ॥१४॥ sa tu dirghakala nairantarya satkara-adara-asevito dridhabhumih ||14||

Et cela n’est une base solide que si c’est pratiqué longtemps, avec continuité, avec ferveur et respect (prudence)

दृष्टानुश्रविकविषयवितृष्णस्य वशीकारसंज्णा वैराग्यम् ॥१५॥Drishta ânushravika vishaya vitrishnasya vashîkârasamjnâ vairâgyam  ||15|| 

En être maître, en avoir une totale connaissance, et (en même temps) être sans désir (soif) pour le champ de ce qui est vu et de ce qui est entendu, c’est vairâgya, le non-attachement

तत्परं पुरुषख्यातेः गुणवैतृष्ण्यम् ॥१६॥ Tatparam purusha-khyateh guna-vaitrishnyam ||16||

Vairâgya, à son plus haut degré, c’est, par la prise de conscience du Purusha, devenir indifférent aux gunas.

Patanjali, après avoir énoncé les problèmes rencontrés par l’être humain et en avoir détaillé les modalités, offre une première piste de pratique. Il s’agira dès lors de se dédier au yoga. Non pas en faisant 5 heures de yoga un jour et d’arrêter ensuite mais bien de pratiquer sur la longueur, avec ferveur et zèle. Ce n’est pas d’une pratique austère dont il s’agit. Bien au contraire, c’est varié et coloré. Il y a des hauts et des bas. J’aurais dit au début mais pas que… C’est comme quand nous marchons en montagne. C’est pour cette raison que j’utilise souvent le terme de chemin du yoga. Nous n’arrivons jamais ou plutôt le chemin peut être long et il faut pas se laisser distraire. C’est en cela que le yoga n’est pas de la gymnastique. Ce n’est pas un voyage vers l’extérieur mais plutôt un voyage vers l’intérieur qui nous ramène à la maison. L’involution et non pas la révolution.

Abhyasa - l'intensité dans la pratique

Abhyasa est aussi un indicateur sur l’intensité de la pratique. Faut-il rester un souffle, 10 souffles ? J’ai mal ! Qu’est ce que je fais ? Je sens une tension ! Qu’est-ce que je fais ? Toutes ces perturbations du mental, ces vrttis, vous l’avez compris c’est le contraire de yoga.

 La stabilité dans la pratique physique est importante en ce sens que passer d’une posture à l’autre sur un seul souffle n’est pas la pratique. D’ailleurs dans bon nombre de “type” de pratiques physiques, les postures sont tenues entre 3 et 5 respirations, voire plus.

Intensité ne veut pas dire non plus se blesser. Intensité veut dire être présent à l’instant, se dédier entièrement à sa pratique. Seule tapas va brûler les perturbations du mental. Intensité ne veut pas dire vanité. J’aime bien l’analogie avec le feu. La purification par le feu de la pratique et de la volonté jusqu’à brûler la volonté elle-même. Cette intensité c’est une énergie. Cette énergie n’est pas bêtifiante, ni compétition.

La pratique. Comment ?

On peut se poser la question de comment pratiquer. Comment pratiquer pour être en adéquation avec Abhyasa. Que faut il pratiquer ?J’ai commencé par beaucoup pratiqué les asanas. Je n’enseignais pas beaucoup et j’avais très peu d’élèves (1 ou 2).  Je faisais des asanas tous les jours. Et puis le tourbillon de la vie et la multiplication de mes projets et envie ont drastiquement fait baissé le nombre de fois où je posais mes pieds sur un tapis. Je m’en suis voulue? Je n’étais pas bien. Je me disais que je n’étais pas une bonne yogi d’autant que les “bons conseils” des autres profs c’était qu’il fallait pratiquer au moins 1h tous les jours. Pas possible entre un boulot à 100 %, une multiplication des cours, ce blog et le petit nouveau, le podcast (que je vous invité d’ailleurs à écouter ICI). Et puis j’ai aussi commencé à beaucoup médité, à chanter, à lire encore plus … bref les journées ne font que 24h !

Ne culpabilisez pas !

Alors je voudrais vous dire … Je voudrais vous dire de ne pas culpabiliser. Le yoga c’est pour la vie. Faites ce que vous faites honnêtement. Faites le avec amour. N’oubliez pas que yoga est multiforme. N’oubliez pas le but de yoga. Il y a plusieurs méthodes.  Quand vous aurez compris cela, je vous le promets, tout devient plus simple. Parce que l’intensité c’est aussi la longueur.  Yoga c’est pas 1 jour, 1 mois, 1 an. C’est toute la vie.

Vayragya - le détachement

 Se détacher, vairagya. Se détacher des fruits de l’action. Souvenez vous dans la Bhagavad Gita ! « Tu as droit à l’action, mais jamais à ses fruits. N’accomplis pas l’action pour le fruit qu’elle procure, mais ne sois pas non plus attaché à l’inaction.” (II, 47) et « Celui qui domine ses organes d’action mais dont le mental se complaît dans le souvenir des objets des sens, celui-là s’égare dans l’erreur et la confusion » (III, 6). Cela signifie donc qu’il ne faut pas répéter pour répéter mais avoir plaisir. On arrive alors dans un état qui procure une joie immense, qui nourrit notre intérêt et l’énergie qui vient de cet intérêt nous permet de pratiquer abhyâsa.

« Exécute toujours dans un esprit de détachement

les actes qu’il te faut accomplir car l’homme

qui agit en complet détachement atteint le Souverain Bien »

Bhagavad Gîtâ, III, 19

Il y a un état d’équilibre à trouver. Cet équilibre suivra nos intérêts personnels puis doucement glissera vers une impermanence, un renoncement aux plaisirs extérieurs, matériels. Je m’explique, la joie est intérieure : elle ne vient pas d’objets matériels. Si on suit Patanjali, elle dépasse même la joie éprouvée en contemplant Mère Nature ou en étant avec les personnes que l’on aime. La joie éprouvée est une joie venant de l’Absolu. Elle dépasse même ce qui émanent des gunas. C’est la nature même de la vie qui est transformée. Rappelez vous ce que j’écrivais sur Les gunas et sur le Samkhya (Samkhya : la composition du monde – les tattvas).

Nos attachements, aversions, obsessions et projections

Je ne sais pas pour vous. Mais pour moi, ce qui est terrible au  fur et à mesure que j’avance, c’est que j’ai une conscience de plus en plus aiguë de mes attachements. Ça me rendrait presque dingue car je me fais systématiquement une psychanalyse quand je m’en aperçois.

Je rentre d’une formation de yoga où il a notamment été question de réaliser quelles étaient nos aversions et quelles étaient nos obsessions car elles permettent alors de réaliser à quel point nous les projetons : projections en tant qu’être humain, en tant que prof de yoga. Nous voyons tout et analysons tout en fonction de nos prismes. Le danger est réel : celui de ne pas regarder la situation ou la personne telle qu’elle est,  et de les accepter telles qu’elles sont.

Nos attachements sont de plusieurs ordres mais d’abord affectifs : la famille, les amis. Il y a aussi l’attachement aux choses et au confort matériel qu’elles apportent. Les attachements sont aussi attacher à notre conception de la société, à notre vision de cette-ci, à l’image de nous même dans cette société. Elle est liée aux désirs : désir de bien faire (l’attachement à la notion de perfection pour certains), désir de paraitre (l’attachement à son apparence physique), désir d’apparaître (par exemple faire des postures de folie en yoga).

Si les attachements nous permettent de vivre des moments forts (la naissance de ses enfants) de joie profonde, ils peuvent aussi conduire à des moments de peine (la perte d’un être cher), de mise en danger de soi même (l’attachement aux sensations fortes qui peuvent conduire à un accident), d’entêtement ou de surconsommation (l’attachement aux biens matériels). L’attachement c’est un peu comme le sucre : c’est doux, cela enivre le cerveau. Mais comme toutes choses dans la vie, l’attachement est confronté à l’impermanence.

Vayragya et Aparigraha

Vayragya est dérivé du mot “raga” qui signifie “attraction qui se produit et qui provient du plaisir qu’on tire d’un objet”.

Vayragya, c’est donc l’absence de toute attraction vers les objets qui donnent du plaisir. Si l’on se penche sur cette notion de désir et de plaisir, il apparaît rapidement que ce sont deux mots dont la temporalité est fugace. Le désir est rapide, ne dure pas. Le plaisir non plus.

Aparigraha est un yama du yoga (ahimsa satyasteya brahmacharyaparigraha yoamah, YS II-30). Ce terme veut dire “absence d’avidité, absence du sens de possession”. Il n’y a malheureusement pas de limite à notre désir de richesse et de biens matériels dont nous aimons nous entourer. On pourrait à travers ce yama réfléchir à notre rapport à l’accumulation de biens et plus largement à la surconsommation dont souffrent les sociétés occidentales. Posséder toujours plus. Même les connaissances …

Pourquoi accumuler ? Accumuler, cela rassure, cela évite le vide. J’adore les livres. Je les accumule et j’ai une sacrée pile à lire. J’accumule. Mais pourquoi ? Et c’est bien là où nous arrivons à la limite de ce qu’est l’accumulation (je fais une IMMENSE EXCEPTION et non la moindre c’est les atteintes à l’environnement). Pourquoi accumuler des tonnes de  fringues, de tapis de yoga, de revues de yoga, de téléphones portables dernier cri (alors que le précédent fonctionne encore) ? Il y une espèce de souffrance : celle de ne jamais pouvoir assouvir cette soif.

Il y a bien entendu aussi l‘attachement émotionnel à une personne. C’est attachement peut être désir pour une personne pouvant conduire à des comportements irrationnels. Combien de personnes dépriment suite à une séparation ? Qui n’a jamais pensé avoir mal fait quelque chose ? Que sans lui, sans elle, il/elle ne valait pas grand chose. Au delà du couple, il y a aussi l’attachement à ses enfants, à tel point que l’on parle de “couper le cordon”. L’attachement à la famille, aux amis. L’attachement à un maître ou goutou et les dérives sectaires possibles.

Honnêteté

Il y a beaucoup de gens que j’aime. Je ne sais pas si l’on peut dire admirer. Pour moi “admirer” n’a pas de signification. Je mets de l’affect dans cette relation (attention, ce n’est pas forcément une connaissance physique, ce peut être un écrivain, un philosophe, un artiste). J’aime les gens. Bien sûr, je peux être déçue. Très, trop déçue. Avec le yoga, j’arrive progressivement à prendre de la distance et à me détacher. Mais en fait, je réalise que je ne suis pas attachée en tant que telle à la personne. Je suis attachée à l’idée que je m’en fais et à MES attentes vis à vis d’elle. Ce n’est pas la personne qui me déçoit. Ce sont mes attentes qui ne sont pas remplies. Tout le travail consiste alors à faire la lumière sur ces attentes, à savoir pourquoi elles sont là et à les éliminer. Le travail n’est pas simple. Il peut prendre aux tripes et faire mal, car c’est de soi à soi. Mais c’est un travail honnête. Honnête vis à vis de soi et vis à vis de l’autre. C’est un travail d’amour.

Autre exemple : je suis régulièrement énervée sur ce que je vois sur facebook ou instagram concernant le yoga : des enchainements débiles (pardon mais c’est plus fort que moi) de postures sous couvert d’ouvrir les chakras, des pseudos amitiés virtuelles sous couvert d’une communauté de pensées (mais quand même avons nous à ce point là besoin des réseaux sociaux pour penser/ressentir/exprimer ce que nous pensons / ressentons / exprimons ?) et autres … Cette réaction est la résultante à un attachement : celui de croire “savoir”. C’est mon égo qui est atteint et ma croyance de “détenir” un morceau de vérité. Ma vérité n’est pas celle des autres, et je ne suis pas plus forte que les autres. Alors, une solution simple pour cesser de souffrir : cesser de croire que je sais et accepter. Et subséquemment cesser de lire ces trucs !

Une démarche d'une vie

Le non attachement est une démarche délibérée pour se défaire de l’attachement et de la souffrance personnelle au cours de laquelle, sans se sentir contraint par le devoir ni le rejeter, on est content d’aider tous les autres. Cela ne signifie pas qu’on se replie sur soi-même ou que l’on devienne un renonçant (un ermite, sannyasyn) mais cela implique que l’on accomplisse ses devoirs (un jour je l’écrirai cet article sur le dharma) sans encourir de dettes et sans susciter des attentes.

Je finirai avec la Bhagavad Gita. Avant d’entamer le combat, Arjuna est assailli de doutes. Il ne souhaite pas combattre contre les siens (je vous conseille en lecture de vacances le Mahabharata (lire cette critique complète bien écrite).

«Tu es commis à agir, mais non à jouir du fruit de tes actes. Ne prends jamais pour motif le fruit de ton action; n’aie pas d’attachement non plus pour le non-agir.»

Vers l'action désintéressée

Et là, tout est dit. Agir en pensant aux gains de l’action n’est pas une bonne chose. Machiavel et Le Prince prendront l’exact opposé, la fin justifie les moyens. « Quand on est au milieu de la société, dans des conflits, dans des combats, il y a un moment où l’action s’impose à nous, explique Marc Ballanfat. On ne peut pas choisir d’agir ou de ne pas agir, on est toujours dans l’agir. » L’essentiel est d’agir en renonçant à tout bénéfice personnel. Arjuna ne voulait pas agir. Mais son svadharma était d’être un guerrier et de faire la guerre sans penser aux conséquences. Certains s’engouffreront en disant par exemple qu’il faut faire la guerre sans penser aux victimes civils (par exemple la France qui fabrique des armes en disant qu’elles ne servent pas à faire la guerre et que cela emploie des milliers de personnes en France)… je n’irai pas jusque là. Cependant on peut adopter dans sa vie personnelle cette maxime d’agir sans en retirer des bénéfices, agir pour le bien d’une personne ou pour le bien commun. Cela signifie aussi de ne pas retirer une quelconque gloire, auréole ou idée égotique qu’on a fait le bien autour de soi ou que l’on a agit de façon désintéressée.

Alors réfléchissez, réfléchissons. Quand ai-je agit de façon à 100 % désintéressée sans même penser ensuite avoir agi de façon désintéressée et de se dire que c’était bien ? Honnêtement ? Je peux agir de façon désintéressée … mais je crois bien que je me suis souvent dite que c’était bien d’avoir fait comme ça.

Exercice

Prenez votre cahier et vos stylos. Asseyez vous très confortablement. Respirez profondément 5 fois. Très profondément. Et maintenant réfléchissez : avez vous des buts que vous vous êtes assignés dans votre vie ? Quel niveau d’abhyasa y avez vous donné ? Êtes vous attachés aux résultats ? Au regard de ce qui a été écrit précédemment, considérez vous ces buts comme répondant à votre principe de vie ou bien certains deviennent ils inutiles ? Qu’est ce que la joie et l’impermanence pour vous ? Décrivez 5 situations où vous avez éprouvé de la joie et 5 situations où vous avez vraiment été dans l’instant présent. Est ce que cela a supposé de vous des efforts ? Quand vous sentez vous en équilibre ? En harmonie ? Décrivez vos sentiments et ce qui vous a permis d’atteindre ces états.

Pour aller plus loin

Je vous invite également à lire et relire les Yoga Sutra. A chaque fois, on y trouve une nouvelle dimension ou un élément qu’on avait oublié.

Relire les Yoga Sutra sans les commentaires et avec.

Marc Ballanfat dans Yoga, l’Encyclopédie sous la direction d’Ysé Tardan Masquellier

Françoise Mazet, Yoga Sutra

Jean Bouchard d’Orval, Patanjali et les Yoga Sutras

BKS Iyengar, Lumière sur les Yoga Sutra de Patanjali

I.K Taimini, la Science du Yoga de l’humain au divin

 

Yoga avec Caro 1

Et puis, vous pouvez me rejoindre pour suivre mes cours ou ateliers. Pour en savoir plus, cliquez ici – Mes ateliers.

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