Etude des Yoga Sutra : comment éliminer les obstacles à yoga ? 1ère partie
I-32 Tat pratishedha artham eka tattva abhyasah – Pour éliminer cela, il faut centrer sa pratique sur un seul principe à la fois
I-33 Maitri karuna mudita upekshanam sukha duhkha punya apunya vishayanam bhavanatash chitta prasadanam – L’amitié, la compassion, la gaieté clarifient et apaisent le mental; ce comportement doit s’exercer indifféremment dans le bonheur et le malheur, vis-à-vis de ce qui nous fait du bien comme vis-à-vis de ce qui nous fait du mal
I-34 Pracchardana vidharanabhyam va pranasya – L’expir et la suspension de la respiration produisent les mêmes effets
Patanjali pose une méthode. Après avoir dit ce qu’était yoga et distingué les obstacles à yoga, voici les remèdes ou comment éliminer les obstacles. Ces éléments sont développés du sutra 32 au sutra 39. Ceux que nous analysons, observons, étudions, effleurons aussi (parce que la profondeur s’en dégage toujours un peu, prend une saveur ou une dimension particulière tout au long de notre vie révélant une couleur qui jusqu’à maintenant ne trouvait pas écho en nous), relèvent du champ du mental et du champ énergétique.
La concentration : remède n°1
Et d’abord, il nous faut renverser notre tendance à courir constamment après une multitude d’objets du monde extérieur. En suite de quoi, nous pouvons développer la capacité à poursuivre constamment un seul objectif intérieur dans le domaine de la conscience. Dans notre société hyper connectée et ultra libérale, il est difficile pour l’homme de maintenir le mental dirigé vers l’intérieur et de se concentrer sur le but. C’est la méditation, concentration ultime sur l’intérieur (pratyhara, dhyana, dharana), qui répond le mieux au sutra 32.
La méditation : perspectives
Tout est dit, dans le sens où vous connaissez votre pratique de méditation. Je veux dire la vraie; pas celle que l’on nous vend qui va vous apporter la zenitude. L’ultime remède contre le stress. On nous vend la méditation pour ses bienfaits mais jamais pour ce qu’elle est. La méditation n’est pas la zenitude. La méditation c’est ce regard intérieur, bienveillant, sans commentaire constant. Cela demande un effort. En fait c’est comme pour les asanas quand on essaie une posture encore et encore pour l’accorder au corps (et non accorder le corps à la posture). On réussit puis on échoue puis on repousse le moment de la méditation. “Je n’y arrive pas”.” Je n’ai pas le temps”. ” Cela ne sert à rien”.
Nous sommes des êtres inconstants. Nous nous sommes tellement obligés .. les études, le boulot, se lever, faire de la route … on est sous pression : “il faut bosser pour y arriver” (phrase à deux balles selon moi), la “société méritante”,” “moi d’abord” … vous après. On est dans l’instantané. On est dans le superficiel. Regardez le nombre de téléphones allumés dans une salle de ciné. Lors d’un concert. On est plus intéressé par filmer le concert que le vivre. Observez les gens qui vous appellent et qui vous disent “Oh attends j’ai un double appel” et vous mettent en attente. Ou alors les gens qui vous demandent comment ça va mais n’écoutent pas la réponse (perso je ne perds plus de temps à répondre : c’est très superficiel). Je crois qu’on s’est tellement pressurisé qu’en fait on a explosé. Le covid n’a pas créé l’harmonie, le covid a atomisé la société. On est dans une fuite … on ne voit plus ou on ne veut plus voir. Se concentrer sur l’intérieur c’est mettre fin à cette fuite en avant. C’est ralentir pour observer les micro mouvements, les micro espaces.
L'importance des transitions
Cela vaut aussi pour une séquence de yoga postural. On ne vous parle que de mouvements. Mais avez vous observé l’intérieur ? La transition ? L’espace créé dans la posture ? Dans la transition ? De fait, on pourrait s’y perdre tellement cet espace est infini, stable, clair.
Revenons à Patanjali. Patanjali est très sévère. Pourquoi ? Parce qu’il dit que quelque soient les circonstances de la vie vous DEVEZ créer cet espace intérieur. Souvent on me dit, “je en peux pas, j’ai pas le temps je dois m’occuper des enfants, de mon conjoint, de mes parents, du boulot” ou “tu ne comprends pas j’ai des trucs plus importants dans ma vie (maladie très grave, deuil, soucis professionnels)”. La bienveillance ne peut que vous conduire à accepter la parole de l’autre et à essayer un autre angle pour adapter au mieux la pratique à cette personne qui en a tant besoin. Cette personne pouvant être moi d’ailleurs. Se concentrer est très difficile : nous sommes distraits par les bruits et les pensées. On se fige aussi dans des postures : on veux absolument s’asseoir en lotus, sans mur. Autant il me semble très important de toujours essayer et de recommencer encore et encore (abhyasa) autant je regrette que l’on enseigne de prime abord la méditation de façon très rigoriste, perdant certains pratiquants alors que lâcher un peu sur la façon de faire permettrait aussi de développer la vraie méditation. Il n’est pas que question de pleine conscience. Il est question d’écoute et d’observation de l’intérieur. Mais il faut aller au delà de samskara et des vasana, nos couleurs individuelles … C’est en lisant le “Foutez vous la paix” de Fabrice Midal que j’ai réalisé à quel point on s’enfermait parfois dans des pratiques, multipliant les pressions que l’on essaie de défaire par la pratique. C’est un peu dingue. Lisez le bouquin il est court.
Isvara comme point de concentration ?
Pour certains commentateurs, ce point de concentration vers l’intérieur c’est Isvara. J’ai trouvé comme synonyme la Grâce. J’aime bien. C’est Rajmani Tigunait, de l’Hymalayan Institute (pour ceux qui ne connaissent pas il s’agit de la Tradition de Swami Rama, tradition tantrique. L’Hymalayan Institute a développé une méthode de yoga nidra différente de celle que nous connaissons en France, celle de Sivananda. Et ce sont ces yoga nidra que je suis à titre personnel avec l’enseignement de Rod Stryker. Pour autant, ne vous y trompez pas, cette pratique où l’on est tout entier tourné vers Isvara a pour but d’atténuer les obstacles à yoga non de parvenir immédiatement à samadhi.
Cependant, comment rendre le terrain propice, comment protéger ce mental qui s’adoucit et se concentre ? En effet, une des plus grandes sources de trouble pour le mental réside dans nos réactions incontrôlées vis à vis de notre entourage, de ce que font les gens autour de nous et aux conditions agréables ou déplaisantes que nous rencontrons. Et c’est là qu’intervient mon sutra préféré, le I.33.
Amitié, compassion, joie et équanimité : remède n°2
“ Le yogi doit cultiver l’amitié, la bienveillance à l’égard de tous les êtres vivants qui sont heureux, la compassion à l’égard de ceux qui sont dans le malheur, la satisfaction pour ceux qui sont vertueux, l’indifférence envers ceux qui ne le sont pas. S’il cultive ces qualités le karma blanc [Lumineux] apparaît en lui. La psyché devient calme et lorsqu’elle est calme, apaisée, elle peut se concentrer sur un seul objet et atteindre la stabilité.” (Eric Sablé, Les yoga sutras Patanjali à la lumière des premiers commentaires indiens).
On réagit souvent de deux façons face à l’extérieur : soit nous sommes très perturbés, soit nous devenons insensibles, c’est à dire que nous devenons froids de cœur. Ces deux réactions ne sont pas compatibles avec yoga, la voie spirituelle.
Le yoga comme voie de libération
Soyons clairs, le yoga n’est pas une gymnastique, ni un moyen de s’entretenir ou d’apprendre à se calmer. C’est un état d’être. Les différents moyens pour y parvenir vont nous permettre d’avoir un corps en bonne santé et un mental clair et apaisé. Mais le yoga est une voie de réalisation. J’allais dire que la mort étant l’ultime porte de libération mais comme existe le concept de jivan mukti, le libéré vivant, je ne m’aventurerai pas plus avant dans cette idée. Quoique souvenez vous que l’idée est de sortir du cycles des réincarnations.
Il s’agit donc de cultiver un état compatible avec la voie spirituelle du yoga. J’ajoute que récemment j’ai lu une intervention plutôt acide (et même méchante, du coup je vous renvoie aux paragraphes précédents) d’un professeur de yoga indiquant que le yoga n’était pas une philosophie puisque nous sortons du champ du mental alors que la philo est dans le champ du mental. Ce n’est pas faux puisque yoga est un état. Mais foutons nous la paix (merci encore Fabrice Midal) avec ces pseudo considérations pour essayer de comprendre en profondeur (et oui on laisse encore la place au mental, sinon vous avez la Connaissance Directe, grand chanceux ! … mais ce n’est pas le cas de tout le monde).
Cultiver le détachement
Cultiver cet état c’est avoir ce détachement dont tous les magazines nous parlent tant, celui de la Baghavad et puis aussi du sutra I.12 “abhyasa vayragyabhyam tan nirodhah” (cf Yoga Sutra de Patanjali – YS I.12-I.16, Saison 2 du podcast)
Un des commentateurs des Yoga Sutra, Taimini (dans La science du Yoga) note que l’indifférence au vice peut heurter, surtout les esprits Occidentaux. En effet, le yogi ne doit pas agir contre le vice. Cette indifférence (notez la différence sémantique d’avec détachement) est nécessaire car il est impossible d’à la fois s’occuper de son cheminement spirituel et agir contre le vice. Là encore le raisonnement est viable. Mon éducation occidentale et religieuse (quoiqu’on en dise, j’aurais toujours des grands principes hérités des générations précédentes) s’élève forcément : comment ne pas agir ? Pour ma part, et comme je l’ai déjà écrit à plusieurs reprises, je suis obligée d'”aménager” les principes du yoga et accepter que je n’atteindrai jamais les qualités du yogi (le vrai !). Cela peut beaucoup interpeller et questionner. Je vous renvoie aussi à l’idée ici en France d’opposer Yoga Traditionnel et Yoga Moderne. Comment prétendre à un yoga traditionnel dans une société empreinte de principes moraux très profonds (presque invisibles d’ailleurs …) ? C’est là que la bienveillance fait son apparition. Et d’abord envers soi-même.
Les 4 incommensurables du bouddhisme
Ce sutra 32, je le perçois avec les yeux de quelqu’un qui s’intéresse au bouddhisme. Siddharta Gautama, le Bouddha historique, est né vers -563 avant Jésus Christ. Les Yoga Sutra sont datés de -500 à -200 avant JC. Bouddha précède les yoga sutra et je ne peux m’empêcher de penser que les principes bouddhistes (en partie aussi issus de ce qu’on appellera plus tard l’hindouisme) ont imprégné les yoga sutras. Pour moi, ce sutra (le 33) parle d’équanimité plus que d’indifférence, de cette troisième voie qui nous permet d’échapper aux perturbations des états mentaux. Et puis je vous renvoie à cet article Bouddhisme : Compassion et les quatre incommensurables car ce sutra me fait immédiatement penser à eux.
Et puis compte tenu de la situation sociale et politique de mon pays, la France, je crois que cette piqûre de rappel sur les 4 incommensurables sont de rigueur.
L'expiration et la rétention, remède n°3
Et puis le pranayama agit sur le champ énergétique. La respiration a un merveilleux effet régulateur sur le corps et le mental. Pour être honnête, jusqu’à la fin de l’année dernière, je ne m’étais jamais arrêtée spécifiquement sur ce sutra. Donc j’étais restée sur l’idée que ce qui était “bon” c’était la respiration dans son ensemble. L’inspiration et l’expiration. Et puis là, grande surprise, ce qui “compte” ce sont les expirations et les suspensions. Et la position d’Iyengar sur l’apprentissage du pranayama prend alors pour moi une toute autre signification. En effet, pour Iyengar, le pranayama est enseigné après que les postures, asanas, soient appréhendés. Je corrélais et je corrèle toujours la posture avec la respiration, et celle-ci, son apprentissage est primordiale. Cependant au regard de ce sutra, c’est l’expérience de l’expiration et de la rétention à vide qui nous permet de cesser de nous dissoudre dans l’espace infini et d’être un individu. La rétention permet au prana de gagner en puissance et en profondeur. Selon les commentateurs, ce sutra ne parle que de respiration et non pas de pranayama. Pranayama prend son ampleur dans le 2ème pada. Disons qu’ici nous sommes déjà au-delà du simple geste respiratoire et en deçà du pranayma, contrôle du prana et des vayus, les “vents”.
Personnellement, je n’avais jamais réalisé que la rétention avait cette importance. Mais cela résonne en moi. Dans l’espace, le moindre interstice a son importance : j’y vois un univers ! Et là, je vous invite à réfléchir sur comment vous réagissez lors des expirs, des rétentions et quel est votre rapport aux transitions lors de votre pratique physique. Qu’est de qui “compte” lors de vos respirations ? L’inspir ? L’expir ?
Voilà c’est ça le cheminement parmi les sutra. Un cheminement personnel et aussi très moderne et occidental. Mais cela, je vous l’expliquerai … plus tard.
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